TEMPÊTE


Durant les premiers mois de ta vie, ton papa et moi flottions dans une bulle de tendresse et de calme à tes côtés.
En tâtonnant, nous découvrions notre rôle de parents et réussissions petit à petit à trouver un bel équilibre dans cette nouvelle vie à trois. A la fois émus et émerveillés par ton arrivée parmi nous, nous vivions cette parenthèse de douceur comme une évidence. C’est tout naturellement que nous tissions notre petit cocon d’amour et de tranquillité autour de toi.


Puis, c’est comme un grain de sable qui est venu enrayer la machine et bouleverser notre équilibre, comme un nuage sombre qui a obscurci notre ciel si léger. On sait bien, pourtant, que pour apprécier la vue d’un arc-en-ciel il faut d’abord accepter la pluie. Mais cette pluie nous a surpris. Un peu plus qu’une simple averse, il s’est agit d’une véritable tempête. Une tempête en plein été.

Ton sommeil, jusque là serein, est devenu bien chaotique. Ce qui avait fonctionné des mois durant ne marchait plus dorénavant. Au moment de l’endormissement, nos câlins, nos histoires et chansons du soir ou nos massages dans la lumière tamisée ne semblaient plus t’apaiser comme c’était le cas auparavant.
Pour calmer tes pleurs, nous avons déployé des trésors de patience et d’ingéniosité dépassant ainsi nos réticences de parents débutants : endormissements en porte-bébé, lit incliné, cododo dans une chambre ou dans l’autre, sans oublier les bercements / flexions jusqu’à engourdissement des membres…
Je crois bien que l’on a tout essayé sans que cela ne parvienne pour autant à te rassurer.
Démunis, c’est dans la crispation et les larmes que nous te couchions et pour notre plus grand regret, c’était d’épuisement que tu finissais par t’abandonner au sommeil.
Après t’avoir couché, nous retournions à nos occupations la boule au ventre, la gorge serrée et tous les sens en alerte. Le moindre bruit, la moindre respiration nous faisait sursauter car on savait que d’ici peu de temps il faudrait recommencer le scenario interminable de l’endormissement.
On savait qu’au milieu de la nuit, à deux, trois ou quatre reprises, tes cris nous arracheraient du sommeil et qu’autant de fois, on serait désarmés pour te calmer. Comme cela a été difficile de ne pas savoir si c’était des douleurs ou des angoisses que l’on devait soulager…
Pendant la journée, on songeait  avec crainte à la nuit qui arrivait. Pendant la nuit, on redoutait déjà la journée qui suivait. Comme dans un cercle sans fin, le jour et la nuit se succédaient sans que l’on ait pu se reposer.


L’alimentation non plus n’a pas été un long fleuve tranquille. Les petites purées que l’on te cuisinait ne t’intéressaient pas comme on l’avait imaginé. Les repas que l’on espérait synonymes de plaisir et de découverte étaient finalement source de contrariétés et d’appréhension. Chaque cuillérée était une vraie bataille, chaque petit pot une victoire gagnée dans les larmes.
Là aussi, nous nous sommes beaucoup questionnés : Ressentais-tu un inconfort, une crainte, une douleur ? Peut-être n’étais-tu tout simplement pas prêt pour ces repas de grand bébé ?
Les tétées si simples jusqu’alors sont par la suite devenues source de tensions. Je ne reconnaissais plus ce petit bébé agité et nerveux que j’avais dans les bras. Tous mes efforts de documentation, de patience, toutes les consultations et remises en question, tous mes essais pour adoucir ces moments restaient vains. Cela a été une véritable frustration de ne pas réussir apaiser nos tétées… Sacrées tétées entêtées !


Les moments de jeux et d’éveil semblaient eux aussi teintés de cette anxiété ambiante qui rythmait notre quotidien. Te poser un instant pour jouer relevait de l’impossible. S’accorder un court moment pour souffler était inenvisageable. Le portage est alors devenu un mode de vie et le porte-bébé une deuxième peau, à la fois meilleur allié et pire ennemi.
Là encore, les doutes se sont multipliés : Pourquoi était-ce si dur pour toi d’être posé ne serait-ce que quelques secondes ? Ton terrible reflux te rendait-il la position horizontale si insupportable ? Voulais-tu simplement être rassuré ?
Tu avais tellement besoin de nous : Plus qu’on ne l’avait imaginé, bien plus encore que ce que l’on ne se croyait capables de donner.  


Beaucoup de nos questions sont restées sans réponse. Pourtant, des réponses et des conseils, on en a reçus beaucoup : certains délicats, d’autres moins. On nous disait volontiers que notre inexpérience et notre angoisse étaient à l’origine de toutes nos difficultés. À défaut d’être réconfortantes ou constructives, ces paroles nous ont fait connaître la culpabilité.
Bien évidemment que l’on débutait ! Alors, peut-être que notre manque d’expérience nous a parfois guidé dans la mauvaise direction. Il est probable aussi que l’anxiété que l’on a fini par développer ait aggravé les choses.
Mais pour une raison que l’on ignore encore, on sait aussi que quelque chose nous a échappé, quelque chose que l’on n’a pas compris, quelque chose que l’on n’a pas su régler.
Sans jamais tout à fait s’éteindre, la confiance et la détermination qui m’avaient toujours animée ont été mises à rude épreuve… J’ai tant détesté me voir découragée, agacée, épuisée par l’inquiétude. J’ai eu tellement honte d’avoir ressenti le rejet, le regret, l’amertume. J’ai eu si peur de perdre l’amour qui nous liait.
J’aurais aimé être mieux préparée pour que cette tempête soit moins violente, pour t’offrir des débuts plus doux.

Puis le temps a passé et ensemble, à trois, nous avons redécouvert la légèreté et la douceur de vivre.
Nous sommes bien incapables de dire ce qui t’a aidé à renouer avec le calme et la sérénité : Est-ce le temps qui t’a fait grandir ? Les mains rassurantes de ton ostéopathe qui ont apaisé les tensions sur ton corps de bébé ? Ce gros ourson moelleux et rassurant que l’on t’a choisi ? Nos bercements et mots doux de la nuit ? Notre amour inconditionnel et sans limite ? Peut-être un subtil mélange de tout cela…
Petit bébé mystérieux, tu es le seul à connaître ce secret et on espère simplement t’avoir aidé à trouver la clé.

J’avais abordé la maternité de manière bien peu modeste, persuadée que chaque difficulté pouvait être surmontée par la documentation, la détermination et la persévérance. J’ai ensuite compris que ces atouts, bien utiles dans d’autres situations, ne suffisent pas toujours dans l’univers de la parentalité. Plutôt que tout cela, Naël, tu m’as appris l’humilité et j’ai alors découvert que cela peut devenir une force que d’oser se confier et d’admettre sa vulnérabilité.
J’ai réalisé que lorsque les solutions ne se font pas aussi immédiates qu’on le souhaiterait, l’entourage, l’entraide et le soutien jouent alors un rôle salvateur, comme une éclaircie dans un ciel chargé… Et qu’après la tempête peut venir le beau temps…

TEMPÊTE
– Eté 2018 –

2 commentaires

  1. Simplement merci de partager cette tranche de vie qui fait tellement écho à nos débuts difficiles avec notre petit Malo (reflux également, entre autres probablement). Lire que d’autres parents restent dans l’incertitude et le mystère est rassurant.
    Bravo pour ce blog et ces mots si justes.

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    1. Oh merci Pauline pour ce retour qui me fait chaud au cœur. Comme tu l’imagines, ce n’est pas si facile de révéler cette partie-là de notre parentalité mais ça fait aussi partie de notre histoire de parents. Je suis ravie de savoir que ce récit résonne un peu en toi et j’espère que cela pourra rassurer ou éclairer d’autres parents. Merci encore pour ton message.

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