OR BLANC

Pour ma plus grande stupéfaction, quelques minutes après ta naissance, c’est simplement et naturellement que tu t’es hissé contre moi pour trouver ton réconfort. Tout seul, tu as su trouver le chemin pour savourer les premières gouttes d’or blanc que mon corps avait préparées pour toi.
La fierté de t’avoir mis au monde m’avait faite me sentir profondément femme et puissante. À cette joie, s’est ensuite ajoutée une nouvelle force, féminine elle aussi, celle de te nourrir de mon lait.
Tout en douceur, notre histoire d’allaitement a alors commencé…

Mon bébé pressé, tu es né un peu trop tôt, si bien que les premiers jours, tu t’imaginais sans doute encore dans mon ventre et tu te croyais encore nourri sans avoir à fournir d’efforts. Petit bébé fatigué, petit bébé qui oubliait de téter…
Tu avais beau te débrouiller comme un chef, tu as quand même eu besoin d’un petit coup de main pour parvenir à prendre des forces. Alors, armée de courage et de persévérance, avec l’aide et le soutien sans faille de ton papa, j’ai tout mis en œuvre pour donner une chance à cet allaitement. Jour et nuit, nous te nourrissions à deux : je commençais en t’allaitant tout contre moi puis, pour que tu ne t’épuises pas, ton papa t’aidait en te donnant mon lait au biberon. Très vite, les petites douleurs des débuts se sont envolées. Rapidement, tu as pris des forces et je suis alors devenue ta seule source de lait. En quelques semaines, tu es devenu un vrai glouton et moi la plus fière des mamans…

Peu à peu, en tâtonnant j’ai réalisé qu’allaiter son bébé était naturel mais pas tout à fait inné. Avant que l’allaitement ne devienne véritablement instinctif, j’ai dû apprendre. Accepter le doute et l’incertitude, essayer encore et encore pour surmonter la gêne ou l’inconfort, faire preuve de patience au lieu de céder à l’agacement. Comprendre que l’allaitement est avant tout une histoire de transmission : s’entourer des bonnes personnes, accepter l’aide, écouter les bons conseils, ignorer les mauvais. Puis, enfin, se faire confiance.
Réaliser que devenir maman est un apprentissage. Devenir parents prend du temps.
Comme un duo de danseurs qui apprend à valser à l’unisson, il nous a fallu nous apprivoiser l’un l’autre. Nous nous sommes découverts et nous avons appris ensemble. J’ai eu besoin de ce temps pour croire en moi et en mes capacités à te materner, à trouver et développer mes propres talents de maman. J’ai appris à te faire confiance en t’écoutant et en t’observant exprimer tes besoins. Grâce à cette confiance partagée, je me suis sentie à l’aise et j’ai pris du plaisir à t’allaiter.

J’ai alors découvert l’instinct animal qui nous unissait désormais : ton besoin vital d’être lové contre moi, mon besoin viscéral d’être connectée à toi.
Dorénavant, je pouvais deviner tes besoins dans mon corps comme dans mon cœur. De tout mon être, je pouvais sentir que ton petit corps affamé et vulnérable réclamait le mien. Mon corps, transformé par la magie de la maternité ne demandait qu’à te nourrir. Alors, l’un contre l’autre, nous nous complétions en donnant à nos corps ce qu’ils réclamaient mutuellement.

Te voir grossir et t’épanouir. Entendre les compliments sur la taille de tes cuisses potelées, les petits plis de tes bras. Te voir t’éveiller, grandir et pouvoir compter tes bourrelets… Et tout cela grâce à mon lait comme seul aliment.  Quel accomplissement !

C’est avec beaucoup de tendresse et pleine d’émotion que je t’ai regardé téter longuement lorsque tu étais nouveau-né. Tes yeux de petit nourrisson noyés dans les miens, tu me buvais du regard, et, rassuré, tu t’endormais paisiblement au sein.
C’est avec admiration et émerveillement que je t’ai observé te rassasier goulument en seulement quelques minutes quand tu avais déjà quelques mois : mon petit bébé grassouillet, petit bébé plein de lait…
C’est avec assurance et fierté que je t’ai allaité partout et tout le temps : le jour, la nuit, chez nous, chez les autres, en bord de mer, en montagne, dans les cafés, dans les musées, dans les magasins, dans les parcs, à la mairie, dans mon école, dans un parking, dans nos escaliers, dans la voiture, sur un banc, en France, en Espagne, en Autriche, en Tunisie ! Cet allaitement a été à notre image puisqu’il nous a permis à tous les trois d’être ce que nous avions toujours été à deux : libres et nomades.

Les longs mois de fusion paisible ont laissé place à de pénibles semaines de doutes et d’incompréhension. Te voir te tordre de frustration pendant les tétées sans en comprendre la raison et sans pouvoir t’aider a été un véritable crève-cœur.
Le lait venait-il trop fort ou au contraire pas assez vite ? Mon retour sur le chemin du travail a-t-il été un bouleversement trop brutal pour notre duo ? Avais-je reçu les informations nécessaires pour préparer cette séparation correctement ? Cette tétine pourtant si rassurante pour toi n’a-t-elle pas finalement été un obstacle dans notre allaitement ?
Parmi ces questions, je devine plusieurs réponses possibles mais, comme souvent dans la maternité, aucune certitude.

Pendant 9 doux mois, j’ai eu la chance de mener un bel allaitement, de découvrir ses merveilles et ses difficultés, apprivoisant par la même occasion mes forces et mes failles. Au terme de ces 9 mois d’allaitement, notre aventure lactée s’est arrêtée, un peu malgré moi. Il a été difficile de mettre fin à notre fusion sans ressentir de la nostalgie, de la déception ou du regret.

Le sentiment de culpabilité s’est peu à peu estompé. Seules sont restées la fierté et la conviction de t’avoir donné le meilleur aussi longtemps que je le pouvais. Aussi éphémère soit-elle, cette période a posé les bases de l’amour inconditionnel qui nous unit pour toujours. Aujourd’hui encore, je considère cette aventure comme un pilier fondateur dans notre relation. Grâce à cette fusion charnelle et émotionnelle, j’ai le sentiment de t’avoir materné avec le cœur, le corps et l’âme.

Je garde de notre aventure, un doux souvenir que je chéris dans mon cœur. Cette expérience, je la garde en mémoire en portant fièrement au creux de mon cou une véritable goutte de lait en guise de bijou. Ce bijou, à la fois larme de lait et perle précieuse, reflète l’histoire singulière de notre duo unique.

OR BLANC
– 2018 –

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