Quelques jours avant ta naissance, tu m’avais avertie de ta toute proche venue. Pourtant je n’avais pas vraiment réalisé car, à en croire les calendriers, il n’était pas encore l’heure et il était aussi beaucoup trop tôt pour mon petit cœur non préparé. Alors tu m’as laissé encore un peu de temps, puis, tout en douceur, tu es arrivé.
C’est au milieu de la nuit, le 3 février 2018, que tu t’es lancé dans l’aventure de la naissance. Les premières douleurs, diffuses et irrégulières, me réveillent mais ne sont pas suffisamment prononcées pour m’assurer de ce qu’il se passe. Puis, réalisant que ces sensations sont nouvelles pour moi et que leur intensité grandit, je renonce finalement à regagner le sommeil. Plus le temps passe, plus les douleurs se font puissantes, précises et fréquentes. Tous ces signaux éveillent mes soupçons mais je continue obstinément à penser qu’il peut s’agir d’une fausse alerte car, jusque là la respiration et la concentration m’ont aidée à trouver ces douleurs supportables.
Au bout de plusieurs heures, je commence à comprendre qu’il s’agit bien de contractions et qu’elles ne cesseront probablement pas. Je dois me préparer mentalement à te faire naître. Alors, étape après étape, dans ma tête et dans mon corps, je deviens une véritable guerrière, prête à affronter tous les obstacles. Prévoyante, je m’applique aux derniers préparatifs et je prends les dispositions les plus inattendues en pareil moment : un petit déjeuner copieux pour prendre des forces pour l’épreuve qui m’attend, une dernière commande de mobilier pour finaliser ton nid et enfin préparation de petites surprises pour mon amoureux qui va devenir papa dans les prochaines heures.
Battante mais pleine de douceur, je pense alors à de tous petits détails pour me relaxer et t’accueillir sereinement : un bain chaud pour délasser mon corps qui te porte depuis 8 mois, des soins du corps pour me sentir belle pour ta naissance mais aucun artifice ou parfum pour être sûre que tu me reconnaisses. Pour finir, je me détends à l’aide de breuvages chauds qui aideront mon corps à te nourrir.
Tu m’as donné le signal et je sais. Malgré toutes mes incertitudes, je dois accepter que mon corps est prêt. Je n’arrive pas à me faire à l’idée d’une naissance si précoce mais je dois l’accepter. Ton père, lui, se montre attentionné, aux petits soins pour moi, mais surtout très attentif car il attend un regard de ma part, un mot, un hochement de tête pour réaliser à son tour. Malgré tous mes doutes, je finis par me montrer sûre de moi et donne enfin le signal à ton père.
C’est incrédules et naïfs que nous décidons de nous rendre à la maternité. Nous rions, nous blaguons, nous n’y croyons toujours pas. Malgré tout, en chemin, je sens que tu es bien bas dans mon bassin. Dès lors, je sais que je ne me trompe pas. Une fois installée dans la salle, on me confirme qu’il ne fait aucun doute sur ton arrivée ce jour-là. Nous n’en revenons pas, nous sommes tout simplement stupéfaits par cette nouvelle. J’apprends qu’en réalité, le travail a commencé depuis de longues heures, chez nous, et que je t’ai accompagné jusque là courageusement, calmement. Je prends alors confiance en moi en réalisant que j’ai ressenti uniquement de la douleur alors que je m’attendais à de la souffrance. On m’apprend que tu es tout près, tout proche et que ça ne sera qu’une question d’instants avant de pouvoir te rencontrer. C’est à ce moment-là, je crois, que nous réalisons que l’on va bientôt serrer notre bébé dans les bras. Nous n’en revenons pas que tout ait été si facile jusque là.
On me questionne alors sur mes souhaits de naissance : confiante, j’affirme que je souhaite affronter la douleur, que je veux mettre mon enfant au monde naturellement et le nourrir de mon lait. On m’explique que les douleurs seront bien plus intenses lorsque tu auras percé ton enveloppe. Cette précieuse information m’aidera tant le moment venu à ne pas être surprise par la douleur grandissante. Je suis calme et concentrée, consciente de chaque seconde. Je suis à l’écoute de mon corps et sens que tout se met en place à l’intérieur : un bouleversement délicat, une énergie tranquille. C’est un drôle de sentiment qui m’habite à ce moment-là : l’impression que tout est évident alors que je suis envahie de doutes. Un curieux mélange de connu et d’inconnu.
Puis, en un instant, les choses s’accélèrent. Sans que je m’en aperçoive, je bascule de la pensée vers l’instinct. Je ne suis plus que sensations et respirations. Je suis consciente et lucide mais je ne cherche plus à penser. Je m’isole en me créant une bulle de sécurité où personne d’autre que toi et moi n’a sa place. Je sais que ton papa est à mes côtés, qu’il est là pour me rassurer et me soulager. Pourtant, dans ma bulle je n’entends rien de ses mots, je ne sens rien de ses caresses. Dans cette bulle, je protège mes yeux de la lumière et des regards en recréant un peu de pénombre avec mes mains. Dans cette bulle je ne dis que peu de mots, je ne fais que très peu de gestes. J’économise mes forces car je sens qu’une seule parole, un seul mouvement pourrait bouleverser cette équilibre de silence et de concentration. Aux questions que l’on me pose, je tâche de répondre brièvement pour ne pas me laisser distraire et pour rester connectée à moi-même. Je tente de décrire mon ressenti mais je réalise que plus aucun mot ne peut traduire mes sensations. Et ce moment arrive, ce moment auquel on m’avait préparée quelques minutes auparavant. D’un mouvement, tu romps ton enveloppe et je sens ton eau se répandre hors de moi. Je ressens ton avancée à chaque instant. Je sens que mon corps entier travaille à te faire naître : c’est une véritable tempête qui anime mon corps ! Une sorte d’alchimie hormonale me maintenait jusque là dans la tranquillité, la détente, m’apportant confiance, courage et bien-être face aux douleurs. Je sens un soudain basculement vers un autre équilibre propice à ta naissance : une sorte d’adrénaline vitale, un stress nécessaire et contrôlable, une panique mesurée. J’ai peur mais je suis calme. Je ressens la montée en puissance de la douleur sans pourtant réussir à l’identifier, sans être sûre de la localiser. Je me sens vivante, je me sens sauvage, je me sens puissante. On m’explique que si je me sens prête, je peux commencer à accompagner ton passage. Confuse, je demande ce que ça signifie. On me dit bien plus clairement que c’est le moment de pousser. Et en effet, je me sens prête. J’ai comme une furieuse envie de te faire naître. Les choses se passent très rapidement. La sage-femme est parfaite : rassurante, maternante, douce. Par ses mots et ses regards, elle me guide juste ce qu’il faut pour que je te fasse naître seule. Mes efforts sont efficaces et vite récompensés car en seulement quelques poussées on commence à te voir. J’ai mal, je sens que mon corps pourrait rompre. J’ai mal mais la douleur guide mon corps. J’ai mal mais la douleur m’aide à me recentrer sur le moment présent. J’ai mal mais je vis cette douleur comme une transition pour la jeune femme que je suis et la mère que je suis en train de devenir. Pour ma plus grande surprise, la sage-femme me propose de t’attraper, toi, la récompense de cette si belle naissance. Ignorant que j’ai déjà fait le plus dur et que tu es juste là, je préfère la laisser te saisir car j’ai peur de ne plus réussir à me concentrer en sentant ton petit corps. J’ai peur de perdre pied en ressentant ta chaleur. Quelques efforts supplémentaires me permettent de te voir enfin petit être d’amour. Tu es là, mon tout petit bébé. Nous sommes là, Naël.
A cet instant-là, je suis tellement stupéfaite par ta naissance qu’au lieu de pleurer d’émotions, je ris de joie et je m’exclame de bonheur. Je ressens une profonde harmonie, un sentiment extrême de satisfaction et de fierté. Aucune fatigue à ce moment-là mais l’énergie, l’effervescence et l’euphorie que l’on ressent après un exploit. L’impression d’avoir accompli une prouesse alors que tout n’a été qu’évidence.
On te pose sur moi et je te découvre. J’observe attentivement chaque détail de ton visage. J’apprends chacun de tes traits pour garder à tout jamais cette image en mémoire. Je te reconnais comme si j’étais ta mère depuis toujours. Je regarde ton père et lis la même émotion intense dans son regard. Mon cœur fond littéralement lorsque tout seul tu te hisses contre moi et parviens à te nourrir de mon lait. Tout a été si évident et instinctif : tu savais naître et tu es devenu mon petit garçon. Je savais te mette au monde et je suis devenue ta maman. Je me sens tellement chanceuse : je sais que les choses ne sont pas toujours si simples…
Ces instants de grâce, alors que je les vivais à ce moment-là en pleine conscience, je les perçois aujourd’hui comme un doux rêve aux contours flous. Je fouille alors dans mes souvenirs pour me remémorer cette parenthèse suspendue dans le temps. Dans cette douce confusion, j’ai tenté de trouver les mots justes pour retracer la délicate histoire de ta naissance, Naël.

– Février 2018 –